A propos du Trois-Six
Publié le 08/06/2006 à 12:00 par cessenon

Une bouteille d'Eau de Vie de Marc du Languedoc
Produite par la distillerie coopérative de Pézenas
L’expression est insolite, mais d’où vient-elle ? Eh bien c’est en fait le nom d’une boisson obtenue en additionnant trois mesures d’alcool à trois mesures d’eau, la proportion du liquide était alors de 3 / 6 ! On l’appelait également « Preuve de Hollande » et elle titrait 19° Cartier. Il y avait d’autres combinaisons possibles, notamment le Cinq-Six.
Toutefois dans la région le Trois-Six c’était l’alcool de vin à 95 / 96°, produit dans les distilleries avec le marc de raisin. Pourquoi ce degré ? Parce que le procédé de distillation permet d’obtenir facilement un tel mélange, dit azéotropique.
En Languedoc il existait dans plusieurs villes d’importants marchés aux Trois-Six. Il en reste le nom de places à Pézenas, Béziers… Le commerce des Trois-Six était strict et je tiens l’anecdote suivante de Gérard Garcia, lequel est originaire de Sérignan. Un viticulteur du village se livrait à un trafic illégal et camouflait ses opérations frauduleuses en badigeonnant de bouillie bordelaise les barriques dans lesquelles il transportait du Trois-Six. Peut-être était-il surveillé par les gendarmes. En tout cas son manège fut découvert. Il avait bien tenté de se justifier d’un « Qual m’empachariá de sulfatar amb de tressiès ? » (Qui m’empêcherait de sulfater avec du Trois-Six ?) mais sans doute que cela n’eut aucun effet sur la maréchaussée !
Le nom scientifique de l’alcool de vin anhydre (c’est à dire pur) est l’éthanol. On le désigne aussi sous le vocable d’alcool éthylique. C’est le second de la série des alcools, le premier étant le méthanol. Il a pour formule développée CH3 - CH2 - OH.
Contrairement à la fermentation qui transforme les sucres en alcool, la distillation, qui a pour but de séparer les constituants d’un mélange, n’est pas une réaction chimique mais une transformation physique. Elle est connue depuis l’Antiquité et, bien que le premier traité à ce sujet, ½uvre du chimiste français Arnaud de Villeneuve (il découvrit un distillat, qu’il nomma eau-de-vie – aqua vitæ – dont il introduisit l’usage en thérapeutique externe) ne soit paru qu’aux environs de 1311, l’« art de la distillation », daterait de plus de trois mille ans, et l’on pense que les Perses l’auraient découvert pour fabriquer l’eau de rose. Aristote proposait aux marins de distiller l’eau de mer pour obtenir de l’eau douce.
La production d’alcool est pratiquée depuis des millénaires. La tradition affirme que Noé en aurait fait un usage immodéré ! Le mot « alcool » vient de l’Arabe al-kuhl qui désignait à l’origine une poudre d’antimoine servant de médicament. Une eau-de-vie est une boisson alcoolisée titrant moins de 70°. Le Cognac, la Fine, le Kirsch, le Calvados mais aussi le whisky, la vodka… sont des eaux-de-vie.
Dans notre région les distilleries coopératives ont été créées bien avant les caves coopératives de vinification. Suite au phénomène de surproduction dont les conséquences les plus dramatiques se sont révélées en 1907, elles répondaient à des impératifs d’assainissement des cours. Une législation, connue sous le nom de « prestations viniques », a obligé en effet les viticulteurs à distiller une partie de leur récolte. Des alambics ambulants ont également circulé dans les communes où aucune distillerie coopérative n’avait été construite.
La distillerie de Cessenon, aujourd’hui disparue, était à côté du groupe scolaire. Des défis étaient lancés par ceux qui voulaient en découdre : « Je t’attends ce soir après la classe derrière la raca (le marc) » Effectivement il y avait à l’arrière de la distillerie des tas de marc et l’endroit, désert, était propice aux… duels ! Il ne semble pas toutefois que le gant ait été souvent relevé, l’invective restant au niveau de la menace !
J’ai le souvenir aussi d’une machine, montée sur une carcasse métallique assez impressionnante par ses dimensions, qui permettait le transport du marc sur un tapis roulant, qu’on appelait « La sauterelle ».
Les viticulteurs avaient droit, au titre de « privilèges de bouilleurs de cru », à une quantité d’alcool, plafonnée à 1000°. Ce plafond était atteint avec une production modeste. Comme l’alcool titrait un peu moins de 100° cela permettait de retirer entre 10 et 11 litres du précieux liquide .
Précieux il l’était vraiment cet alcool. Il avait bien sûr un usage médical. Il était de tradition d’en verser sur les mains du docteur lorsque celui-ci venait d’effectuer une visite dans une maison.
Il avait aussi des utilisations moins nobles. Il servait à fabriquer du pastis grâce à des produits vendus en fraude dans de petites fioles par des gitanes. Pour le Premier de l’An on l’utilisait pour élaborer des liqueurs : crème de cacao, chartreuse… J’avoue avoir toujours eu un faible pour la crème de cacao que, gamin, j’allais siroter en cachette, à même la bouteille, dans la pièce où elle était entreposée !
Il était également possible de conserver des cerises, blanches de préférence, des grains de raisin servant, gros et à la peau épaisse… dans l’alcool.
On pouvait aussi choisir de prendre de la Fine en lieu et place d’alcool. Comme le degré était inférieur, on avait droit à plus de litres de Fine que d’alcool. Mon grand-père était amateur de Fine. Il en buvait après le repas et chaque année c’était un drame au moment de la soudure car il avait épuisé ses réserves. Il tournait en rond, accusant je ne sais qui d’un : « L’an que vem o amagarai ! » (l’année prochaine je la cacherai !)
On pourrait compléter ici en indiquant que la distillerie fournissait aussi à ses adhérents un peu de savon. Je me rappelle avoir été, à la sortie de l’école, arrêté par le gérant pour que j’emporte le morceau de pierre de savon qui revenait à mes parents.
De nouvelles dispositions législatives, prises en 1963 , font qu’aujourd’hui ceux qui ne bénéficiaient pas avant cette date des privilèges de bouilleurs de cru ne peuvent pas avoir droit à la dizaine de litres de « Tressiès » que peuvent toujours recevoir les plus anciens. Aussi à Cessenon, à l’adage « Les vieux il faut en tirer du travail et de l’argent » on ajoute « … et du Trois-Six » !
J’ai ici une autre anecdote. Mon oncle Aimé était allé retiré son trois-six à la distillerie de Saint-Chinian. Il y avait rencontré une connaissance venue effectuer la même opération. Il lui avait demandé des nouvelles de son père. Celui-ci devait être particulièrement désagréable (un maissant vièlh – i.e. un méchant vieux). La réponse de l’interpellé avait été : « s’era pas per tressiès, l’assucariài » (si ce n’était pas pour le trois-six je l’assommerais).
:: Les commentaires des internautes ::
Omission regrétable. Au 19ème et encore au début du 20ème siècle, était vendu sur les places publiques qui en ont gardé le nom, le trois/six (92 à 95 degrés)et la fine (65 à 70 degrés). Le prix n'était pas le même, et pour vérifier que c'était bien des barriques de tois/six que l'acheteur avait devant lui, il faisait le mélange 3/6ème, le degré du mélange était alors de 45° et devait s'emflammer, ce qui n'était pas le cas pour la fine qui aurait eu 35°. Cette opération facile était faite sur place.En ce temps là, les alcoomètres de laboratoire n'éxistaient pas.
Paula et Olivier Astruc,
auteurs des "Mystères de l'Hérault"
aux éditions de Borée.
Très intéressés par votre article sur le 3/6, auquel nous consacrons un passage dans l'un de nos sujets, nous permettez-vous de vous citer en rapportant dans "Les Nouveaux Mystères de l'Hérault" (en préparation, sortie prévue à la mi-mai 2010)la mésaventure arrivée au vitculteur qui barbouillait de bouillie bordelaise ses tonneaux? Nous publierons en bibliographie le nom de votre site et bien sûr le nom de votre informateur sérignanais s'il est d'accord.
J'ai personnellement (Paula) été très émue en lisant sur votre site l'évocation des profs de l'Ecole Normale, que j'ai transmise à mon vieux copain de promo Daniel: avant de nous retrouver normaliens tous les deux, nous avions usé nos fonds de ******* sur les bancs du cours complémentaire de Vias dans les années... Allez... on dira qu'il y a de cela bien longtemps. Mais quand on aime, surtout d'amitié, on compte plus!
Bien à vous,
Paula et Olivier
Je tiens,a vous féliciter d'avoir plus qu'éclairé ma lanterne,vous avez a nouveau avivé mon désir de créer ce couteau "le Trois- six " imaginé le jour ou pour la Premiere fois j'installais mon étal de Rémouleur,Reparateur,sur la place des Trois-Six.Depuis que de chemins parcourus au propre comme au figuré et maintenant installé en échoppe "l'échoppe du Laguiole" à Pezenas ,je me dois de mettre en Oeuvres ce "Laguiole " des Trois-Six .Avec l'expérience que j'aiacquise aux contacts de mes Amis viticulteurs je peux vous dire aujourd'hui que j'en ai déjà confectionné un prototype dont le ressort permettra l'ajout d'un Anneau afin qu'il ne se perde comme c'est malheureusement trop le cas dans les multiples travaux de la Vigne . Merci pour votre article .D. RENAULT dit sur le "Trimard" le Daniel,rémouleur en Languedoc '.ah ... le 3-6 .... pour fabriquer le pastis ou le quinquina additionné de kinacaro, pour faire macérer de la lavande et soigner tous les maux en friction, alcool très précieux chez ma grand-mère audoise et bons souvenirs